Financiarisation de la médecine : où va-t-on ?  

La financiarisation de la médecine, qu’est-ce-que c’est ?

Selon la caisse nationale d’assurance maladie, c’est le « transfert de propriété de l’offre de soins privés des acteurs professionnels vers des acteurs financiers ». Cette définition a été donnée dans le rapport « charges et produits 2024 » de juillet 2023 rendu par le CNOM. Nous avions déjà publié un article sur le sujet de la financiarisation de la médecine.  

Les cas juridiques de 2023 et 2024

Aujourd’hui, ce sujet fait à nouveau la « une » du monde médical et judiciaire.  

En juillet 2023, au moment où la CNAM rend son rapport,  le Conseil d’Etat (CE – 4e, 1ère chambres réunies, 10 juillet 2023, 455961) confirme la décision de radiation d’une société réglementée de vétérinaires, prise par l’Ordre des vétérinaires 

En janvier 2024, le Conseil d’Etat (juge des référés, 4 janvier 2024, 490099) suspend la décision de radiation d’une société réglementée de médecins, prise par l’Ordre des médecins.  

La motivation de l’Ordre était la suivante : il résultait des stipulations contractuelles des statuts et du pacte d’associés dont elle avait connaissance “en ce qui concerne en particulier la compétence du conseil stratégique de la société, le contrôle de cette instance, la répartition du capital, les droits attachés aux différentes catégories d’actions, les règles de distribution des bénéfices et les conditions d’agrément des transfert de titres, la perte du contrôle effectif de la société par les praticiens qui y sont associés et y exercent leur profession, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 4127-5 du code de la santé publique, aux termes desquelles :  » Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit .”  

Le Conseil d’Etat, saisi par voie de référé, a suspendu la décision de l’Ordre.  

Quand un investisseur tiers prend une part au capital, c’est en général en contrepartie d’un apport à la société. Le plus souvent en numéraire. Ce mode de financement est une alternative au financement externe, parce qu’il est moins cher à première vue. Il va permettre ainsi à une société en croissance de continuer à se développer. Bien évidemment il a un coût indirect puisque l’investisseur tiers va avoir besoin d’une visibilité sur la manière dont son argent est utilisé et d’un retour sur investissement puisque son argent est immobilisé le temps d’utilisation par la société. 

Pour sécuriser ce contrôle et ce retour sur investissement, la participation de cet investisseur tiers va être encadré à la fois dans les statuts de la société, mais également de manière plus confidentielle dans un pacte d’associés (un contrat entre les associés qui n’a pas l’obligation d’être public). Pourquoi ? Parce que l’organisation interne entre associés ne devraient regarder en théorie que les associés.  

Seulement voilà dans les sociétés réglementées, les Ordres doivent recevoir une copie de ces documents et peuvent émettre des commentaires.  

Ici l’Ordre fait une analyse globale du pacte et considère que l’agglomération des stipulations contractuelles contreviennent à l’indépendance du médecin.  

Les pactes concernent le plus souvent l’organisation structurelle de la société. Les conditions d’exercice du médecin sont décidées dans un document séparé. Ce qui est visé ici est plus l’indépendance économique du médecin, que l’indépendance de pratique.  

C’est notamment ce que retient le Conseil d’Etat pour suspendre la décision de l’Ordre car il faudrait que les restrictions apportées à la gouvernance de la société aient un impact sur la santé des personnes ou les conditions de leur prise en charge médicale (et attaque le devoir d’indépendance professionnelle du médecin qui s’exerce dans le cadre de l’intérêt des patients et de la santé publique).  

Lors de sa session plénière du 29 mars 2024, le Conseil national de l’Ordre des Médecins (« CNOM ») a décidé de demander au législateur la suppression de la possibilité pour un tiers non professionnel de pouvoir rentrer au capital d’une société d’exercice libéral de médecins (« SEL »). Une possibilité qui existe légalement depuis plus de 30 ans. Ce qui serait sans précédent pour l’avenir de la médecine. 

Le 24 janvier 2024, la commission des affaires sociales du Senat a engagé une mission d’information sur la financiarisation de l’offre de soins, afin d’évaluer ce phénomène et ses conséquences sur le système de santé. La mission devrait rendre ses conclusions à l’été 2024. La position du CNOM sur l’interdiction de l’investissement des SEL par une société tiers a été communiquée au Sénat. 

Que faut-il en penser ?  

Dans un sondage mené du 20 au 25 mars 2024 par CSA-Havas Red Health, auprès d’un échantillon national représentatif de 1 009 Français âgés de 18 ans et plus, publié par La Tribune le 20 avril 2024, les Français expriment leur crainte au sujet de l’avenir du système de santé. 59 % des personnes interrogées envisagent le scénario de la financiarisation comme « possible » (28 % dans un avenir proche, 31 % dans un avenir lointain) contre 41 % qui n’imaginent pas cela crédible. Chez les CSP + le total atteint 63 %. Ces résultats ont été republiés dans le Quotidien du Médecin dans un article publié le 23 avril 2024.  

Affaire à suivre mais qui pose une question essentielle : comment peut-on offrir à une société en croissance de se développer sans recourir au capital tiers ?  

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